Les portes de l'ascenseur se sont ouvertes, j'ai tout reconnu, les panneaux de couleurs accrochés sur les murs, les photos des bébés. Rien n'avait changé, les mêmes couloirs un peu sombres, les portes bleues des chambres fermées derrière lesquelles on entendait des petits vagissements, et tout au bout là-bas la nurserie où nous nous retrouvions pour changer nos bébés.
J'avais quatorze ans de moins, une sage-femme m'avait accueillie - Alors comme ça je voulais accoucher à Pithiviers ?
Comment expliquer ? Mes amis s'étonnaient que je puisse avoir envie de faire naître mon deuxième bébé dans ce trou paumé - C'est où Pithiviers ? Nous y avions une maison de campagne. J'arrivais de Paris, avec l'expérience de la naissance de mon fils trois ans plus tôt dans une maternité de banlieue parisienne. A ma première consultation le médecin ne m'avait parlé que de péridurale. Quand je lui avais dit que je n'étais pas sûr de la vouloir, il avait pris un air dégoûté - C'est par conviction religieuse ? Non, je m'interrogeais juste sur l'accouchement que je souhaitais. Lors de la dernière consultation, un autre médecin m'avait fixé un rendez-vous pour me programmer le samedi matin, c'était plus facile. Lorsque je lui avais demandé s'il n'était pas possible de laisser faire la nature, elle m'avait rétorqué d'un ton sec - Vous préféreriez peut-être débarquer en pleine nuit...
Oui, j'aurais préféré. J'ai toujours considéré que l'on m'a dépossédé de mon premier accouchement, tout m'a été imposé, j'étais impressionnée et je n'ai pas su me défendre. J'avais été absorbée par une grosse machine médicale qui avait transformé la naissance en acte codifié où aucune place n'était laissée au hasard. Dérive sécuritaire illustrée par le monitoring auquel on m'avait ceinturée. J'avais le ventre lié, condamnée à suivre sur un écran la montée des contractions jusqu'à la délivrance, la bien nommée. La péridurale très fortement dosée m'avait privée de mon bébé, je n'avais senti ni les poussées, ni l'expulsion. Alors oui pour le deuxième, j'avais envie de tenter autre chose. Naître autrement, librement. Participer pleinement.
A Pithiviers, il y avait une époque où l'on venait du monde entier (sans exagération) pour accoucher. On naissait "comme à la maison" ou dans l'eau, le professeur Odent avait initié la naissance en piscine. Les maîtres-mots étaient douceur, bienveillance, respect de la mère, de l'enfant. Ils le sont toujours.
Quand j'étais arrivée en 2002, l'époque du professeur Odent était révolue mais l'art de bien naître avait encore de beaux restes ! A Pithiviers, il existait une vraie philosophie de la naissance. La piscine était toujours là, accessible en fonction des disponibilités de la petite équipe. Je voulais tenter d'accoucher sans péridurale (une nouvelle fois !) - Bien évidemment... on va travailler là-dessus ! Je voulais qu'on m'explique les postures qui m'aideraient à affronter la douleur. Pouvoir échanger. Poser toutes les questions qui me passaient par la tête.
De mon suivi de grossesse je garde un souvenir très doux. La disponibilité sans faille des sages-femmes, des puéricultrices. L'impression que mon bébé et moi étions une entité unique, précieuse, méritant la plus grande attention jusqu'à ce jour, ou cette nuit plutôt incroyable où j'ai mis au monde ma fille.
J'ai accouché accroupie, sans péridurale, et en moins d'une heure, le travail était fait. Cela a été un moment extraordinaire et lorsque je suis sortie de la salle de naissance, j'étais debout sur mes deux jambes, mon bébé dans les bras, naturellement. Je n'ai jamais oublié la merveille du peau à peau qui s'est ensuivi, ma fille et moi avons dormi comme deux bébés dans la chaleur l'une de l'autre. Juste réponse à une naissance qui s'était déroulée sans violence, dans le respect de la mère, de l'enfant. - C'est comme ça que les choses devraient toujours se passer...
Souvent quand j'y repense, je me dis que j'ai eu une chance inouïe de connaître cela. Quand je pense que j'aurais pu passer à côté.
Treize ans, quatorze bientôt. J'ai quitté Paris définitivement. Mes enfants ont grandi à Pithiviers. Notre vie est ici maintenant. Et c'est ici que je mène mes combats tant j'ai parfois le sentiment de vivre dans un territoire abandonné par la République.
Cela me rappelle le temps de l'école primaire où les enseignants ne se pressaient guère au portillon pour venir éduquer nos enfants. Notre territoire n'intéresse personne, manque d'attractivité peut-on lire dans les magazines, nous y vivons bien nous pourtant !
Nous peinons pour trouver un ophtalmologiste (personnellement je continue d'aller à Paris), un dentiste, un médecin généraliste. Désert médical. Insuffisance de l'offre de soins. Et aujourd'hui, on nous annonce que la maternité fermera sans doute bientôt, aucun médecin - obstétricien, gynécologue, anesthésiste - ne veut plus venir s'exiler chez nous, comme si nous étions indignes d'être soignés.
Si la fermeture se précise les femmes d'ici devront faire plus d'une heure de route pour aller accoucher dans de grands hôpitaux, Orléans, Montargis, Fontainebleau... avec les risques que cela signifie. Accoucher dans sa voiture ? Ou sur le bord de route ? Dans un camion du SAMU ?
Nous méritons mieux que ça.
C'est pour ça que samedi, je serai dans le cortège au côté de mes amis pithivériens. Et qu'avec eux je crierai haut et fort qu'il ne faut surtout pas fermer la maternité.
Mais y aura-t-il seulement quelqu'un(e) pour nous entendre ?
Vous pouvez signer en cliquant ici la pétition en ligne pour le maintien de la maternité de Pithiviers. Merci !
Merci pour ce texte -- je n'avais vu "que" l'affiche. Je partage beaucoup de choses dans vos mots.
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