LE BLOGLE BACKSTAGE

mercredi 25 mars 2015

La mise au placard - Le smartphone


Personne ne doit ignorer que derrière les portes de certains placards vivent des hommes et des femmes. Cette série documentaire est très librement inspirée de leur expérience. 


Episode 6

Le smartphone

Jeudi - 8 h 02
En fermant la porte du placard, elle a réalisé qu’elle avait dû oublier son smartphone chez elle.
Elle a remué son sac, l’a vidé entièrement sur son bureau. Il était peut-être là, coincé entre son agenda de l’an passé – pour quoi faire ? – et sa pochette de maquillage.
Elle a extrait une pomme un peu tallée, un paquet de kleenex entamé, son trousseau de clé et tout un tas de bazar maculé de miettes sales.
Rien.
Pas de smartphone. La catastrophe.
A 8 h 11, elle est ressortie en trombe, elle a traversé l’accueil, elle a couru jusqu’à sa voiture.
Il fallait absolument qu’il y soit. Il avait dû tomber entre le siège conducteur et le frein à main, cela lui était déjà arrivé plusieurs fois. Mais elle a eu beau fouiller dans tous les sens, elle ne l’a pas trouvé.
Rien. Pas de smartphone.
Brutalement, l’image lui est revenue : il était posé sur la table de la cuisine, elle avait mis sa tasse de petit-déjeuner dans le lave-vaisselle, et elle avait oublié le smartphone.
Elle s’est appuyée contre la voiture, elle a très froid tout à coup et elle se met à claquer des dents une nouvelle fois.
Elle la reconnaît, tremblements, frissons, haut-le-cœur, palpitations, tétanie : c’est encore cette putain de panique qui vient tous les jours se rappeler à elle.
Sans smartphone, elle n’est plus rien.

Lundi matin, elle était arrivée à 8 h 04.
Elle était entrée dans le placard, avait accroché son manteau et posé son sac au pied de son bureau.
Elle commençait toujours par prendre ses mails. C’était une habitude qu’elle avait conservée d’avant. On ne savait jamais.
Elle avait ouvert sa session, s’était connectée sur sa boîte courriel. Mais elle avait eu beau cliquer, recliquer, la connexion ne se faisait pas.
Elle avait relancé l’ordinateur. Une fois. Deux fois. Trois fois.
Rien à faire.
Elle avait pensé à un problème réseau.
Jusqu’à 10 h 43, elle avait espéré.
A 10 h 45, elle avait appelé le manager réseau. Un grand mollasson aux yeux de merlan congelé.
- Ta connexion a été supprimée cette nuit…
Elle avait eu l’impression qu’un gouffre s’ouvrait devant elle.
Tout vacillait.
- … super manager m’a demandé de supprimer ta connexion…
Elle tombait au fond du puits. Elle était aspirée.
-… je viendrai chercher l’ordi dans la journée…
Elle avait raccroché avec l’impression d’être une enveloppe vide.
Elle n’avait plus de connexion internet. Elle n’était plus reliée au monde.
Elle n’existait plus pour personne. Disparue. Elle venait d’être gommée, effacée.
A 15 h 23, il était venu récupérer l’ordinateur. Il avait d’abord emporté le disque dur avant de revenir pour enlever cet écran qui la protégeait encore du mur grisâtre face à elle. Ce mur qui la regardait du matin au soir. Qui l’épiait.
Qu’y avait-il derrière cette cloison. Un autre placard ? Un miroir sans tain ? Combien étaient-ils à la regarder plonger ?
C'était prévisible : ils avaient dû attaquer la phase B de leur plan de merde avec l’intention de la faire plier.
Depuis, elle vivait accrochée à son smartphone.

Elle s’est écroulée sur le siège conducteur, elle a posé sa tête sur le volant, les yeux fermés.
Elle aimerait s’endormir là, tout de suite.
Comment a-t-elle pu l’oublier ? Quelle abrutie. Ils ont raison, on ne peut pas compter sur elle, elle n’est absolument pas fiable.
Que va-t-elle devenir ? Elle ne peut pas retourner dans le placard sans ce putain de smartphone. Comment saura-t-elle l’heure qu’il est, elle n’a pas de montre, que va-t-elle faire ? Elle va crever dans le placard et personne n’y verra que du feu.
Elle a mal partout. Des pieds à la tête, du bout des doigts aux lobes des oreilles. Elle a l’impression de n’être qu’une immense contraction.
- Ça ne va pas ?
Quelqu'un lui parle avec une voix douce et bienfaisante.
- Vous voulez que j’appelle quelqu’un ?
Quelqu'un se soucie enfin d'elle. Elle sent la tension se relâcher, elle est prête à craquer mais subitement un petit radar se met à sonner dans sa tête
- Méfiance ! Attention danger… 
Elle ne doit pas tomber dans le piège. 
Ne jamais baisser la garde. 
- Souviens-toi : pas une voix ne s'est élevée pour te défendre, personne ne pousse jamais la porte de ton placard… 
Si la voix propose d'appeler quelqu’un, c'est qu'elle fait partie de la phase B … te faire plier… Ils sont capables de tout. Elle doit se méfier de tout le monde. 
Ils sont partout. 
Avec ou sans smartphone, il faut absolument qu’elle relève la tête…

(à suivre)

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