J’allais rentrer chez moi les mains vides.
Il y avait bien l’émotion de cette soirée indescriptible.
Il faut dire que j’avais reçu dix jours auparavant un mail
de l’organisation
qui pouvait donner à croire que j’avais gagné le trophée.
Je ne l’avais pas reçu l’an passé. De là à en déduire…
- Ça semble évident : ils n’envoient ce mail qu’aux
lauréats pour s’assurer
de leur présence à la soirée.
Je n’avais rien dit à personne, heureusement, mais
secrètement, dans ma petite tête
de gourdiche, je caressais tendrement cette
promesse et j'avais le cœur battant.
Quand le gars qui a ouvert l’enveloppe n’a pas annoncé ce
qu’il aurait dû si le scénario
avait été parfait, j’ai senti un immense vide m’envahir. Un truc vertigineux
comme
ce qu’on éprouve dans un ascenseur qui descend trop vite.
Après, j’ai marché, bu, parlé, ri, mangé comme un robot. C’est
fou comme
je sais bien faire ces choses-là parfois.
J’allais rentrer chez moi les mains vides mais le cœur plein
de cette déception.
Elle allait sans doute prendre un malin plaisir à revenir me
titiller de façon lancinante,
dans le genre d’une rage de dents ou des prémices
d’une migraine.
Je la connaissais bien la bougresse.
Je venais de tomber de mon piédestal tout beau tout neuf.
Personne n’en avait rien vu.
Mais j’avais déjà mal partout. Rien de visible. Rien d’apparent.
- Juste une blessure d’amour propre.
De celles qui ne se détectent pas à l’œil nu. Ma fierté
sauve. Ouf.
J'étais donc sur la route du retour chez moi avec des pensées pas forcément glorieuses.
Alors j'ai cherché le truc positif.
- Je n'ai pas les mains complètement vides…
Beh oui, finalement je rapportais un petit sac en coton beige siglé,
j’en ai des tonnes comme celui-là, avec une pochette en nylon rose bonbon
remplie de vernis à ongles pailletés très très moches, de gloss nacrés au parfum
de fraise chimique et deux bouquins
sauvés du pilon pour l’occasion.
Et enfouies, bien au fond, mes illusions
perdues.
J’étais en train de me dire tout ça et plus encore quand je
me suis demandé
pourquoi cette voiture arrivait pleins phares en face de moi, qui
plus est sur la même file
que moi mais dans l’autre sens.
J’ai écarquillé grand les yeux. J’ai pensé que j’allais
mourir, là sur le champ,
dans cette robe et cette écharpe que je trouvais particulièrement seyantes.
Le conducteur doublait un autre véhicule. C’était une vision de cauchemar.
J’ai donné un grand coup de frein. Et je me suis déportée
sur la droite.
Le petit sac beige a basculé et tous son contenu s’est éparpillé
par terre au moment
où la voiture passait à ma hauteur.
J'ai ouvert en grand ma fenêtre, l'air du dehors s'est engouffré. J'ai frissonné un grand coup.
Pour la seconde fois de la soirée, j'entendais mon cœur battre à tout rompre.
Ça faisait un bruit du tonnerre dans l'habitacle.
C'est fou comme la vie peut être bruyante parfois.
Quand je suis arrivée chez moi, j'ai remis presque tout ce qui était tombé dans le petit sac beige.
Je crois que je n'ai rien oublié. Ou presque.
Je n'ai pas l'intention d'arrêter d'écrire.